J'écris cette lettre de Janvier depuis les espaces minuscules que je trouve. Elle se fait dans la tête depuis plus d'une semaine et je trouve toujours une bonne excuse pour ne pas allumer mon ordinateur. Cette lettre semblait avoir besoin d'une gestation prolongée, elle attendait son moment.
Comme promis dans la lettre-atelier d'écriture précédente aux côtés de Maggie Nelson, je vais vous partager le jour où je suis tombée amoureuse d'une couleur.
Aussi, un extrait de mon journal d'écriture et comme toujours ce que j'ai lu/vu et que je vous recommande.
Peu de poèmes ce mois-ci mais l'écriture semble jaillir différemment au creux de l'hiver. Elle se fait plus introspective et plus rare aussi, mais avec une intention toujours renouvelée. Belle lecture !
La Lettre Poétique c’est deux lettres par mois. Vous pouvez les recevoir gratuitement ou bien vous abonner pour 5€/mois sans engagement ce qui me permet entre autres de financer l’achat de recueils pour la lettre-atelier d’écriture.
Au programme aujourd’hui
1. Extrait du journal d’écriture
2. Atelier d’écriture Maggie Nelson
3. Ce que j’ai lu / vu
1. Extrait du journal d’écriture
Samedi 12 octobre 2025
Une phrase par jour au moins. C'est ce que je m'étais promis. Non, même pas une phrase, un mot. Un mot au moins par jour. Même cette promesse là, je l'ai trahie.
Pourtant cette promesse me suit depuis toujours.
C'est la seule que je renouvelle sans cesse, sans jamais arriver à la satisfaire.
Est-ce que j'oublie d'écrire quand je crois qu'il me faut survivre plutôt que vivre ?
Est-ce que j'écris de nouveau aujourd'hui car j'ai senti que je ne vivais plus assez dans le présent ?
J'ai été là si fort après l'opération. Juste avant aussi, je ne savais pas s'il y aurait un après. Puis, quand j'ai su que j'allais vivre, j'ai été bouleversée de gratitude.
“Être là” a ouvert tellement de canaux. Et la vie m'a proposée tant de belles choses pour faire battre mon coeur plus fort.
Mais là je me retrouve ce soir comme échouée sur le rivage.
Ce n'est pas un naufrage triste, c'est un naufrage nécessaire.
Car la vie m'a emmenée si fort que j'ai perdu pieds. J'ai mis du temps à m'en apercevoir, quand la vie est généreuse on finit par en vouloir toujours plus. Mais toujours plus, c'est déjà être dans l'après-demain.
J'ai perdu pieds, j'ai perdu mes pieds, ils ont couru au devant de moi.
Ils ont voulu dépasser la vie. Et mes pieds se faisant la malle, je n'ai plus savourer autant. Plus ressenti autant.
J'étais dans le futur insensible.
Il faudrait avoir des racines de géante pour ne pas se laisser entraîner par la vie. Pour seulement la laisser nous traverser.
Alors je suis là ce soir, petite âme charriée par les flots, et je finis échouée. Mais cet échec a le goût du sourire.
Je peux à nouveau sentir le soleil sur ma peau.
Je peux dire "j'ai besoin de goûter à l'instant pour retrouver le sol sous mes pieds".
Je peux saisir la vie sans lui courir au devant.
2. Écriture à partir de l’atelier d’écriture sur Maggie Nelson
Je vous invite à lire les consignes de l’atelier pour comprendre le contexte de ce partage sous forme de notes.
1. Ce matin je suis tombée amoureuse du blanc. Ça m'a saisie sans prévenir, sans que j'ai jamais envisagé possible de ressentir cette joie vive à l'égard de cette couleur. Enfin, de cette couleur qui n'en est pas vraiment une. Mais comment nommer l'objet de mon amour autrement.
Ce matin donc, le cœur saisi, je disais. Il faisait quatre degrés en dessous de zéro alors que je conduisais sur la route qui traverse les champs et forêts. Et tout était recouvert de givre. Le soleil faisait miroiter ses rayons sur les surfaces blanches. Un sourire plus fort que le froid a pris mes lèvres sans retenue et quelques larmes de joie se sont invitées.
C'est comme ça que j'ai su. Comme lorsque je suis tombée amoureuse avant. Le sourire et les larmes qui existent ensemble.
2. Le blanc donne au paysage un autre âge. Soudain il est possible d'envisager la nature vieillissante comme lorsque ce sont mes cheveux qui se parsèment de blanc. De la pointe des branches aux herbes des champs, l'hiver a déposé son manteau sur la vie. Parfois même l'air devient brumeux et se pare lui aussi de légers nuages blancs. Je crois toujours traverser des fantômes quand je dois avancer sur la route. J'aurai envie de fermer les yeux, persuadée qu'à passer au travers de la brume je traverse une âme qui somnole là.
3. Peu importe où je me pose mes yeux, il y a du blanc. C'est étrange comme cette couleur je l'associe à plusieurs matières. Principalement à la brume depuis que je vis dans le Morvan. Ce soir encore, j'ai traversé des nuages de blanc vaporeux sur la route. Il y avait aussi le blanc des bandes centrales et de celles sur les bas côtés. Ces traits interrompus blancs deviennent mes plus fidèles alliés quand la visibilité baisse. Il y a quelque chose d'hypnotique à suivre ces traces au sol pour ne pas perdre la route de vue.
4. Le blanc est souvent associé à la pureté, à la lumière.
Pour moi c'est la couleur du froid et de l'hiver.
5. Le blanc en tant que teinte colorée est obtenu en mélangeant toutes les couleurs du cercle chromatique. Même si ça n'est pas la même chose, je pense instantanément à la pochette d'album de Pink Floyd où le rayon de lumière blanche est difracté en plusieurs rayons de couleurs.
6. C'est aussi la page blanche. Les pages blanches ce sont mes préférées car ce sont celles où tout reste à écrire. Si les pages blanches n'existaient pas, je ne pourrai pas me dire autrice. Puis d'un point de vue plus symbolique cette idée de page blanche et de nouveau chapitre me parle. J'en suis à un endroit de ma vie où c'est tout un livre de pages blanches que je pressens. J'ai commencé à en noircir la première page et j'ai beaucoup d'excitation à l'idée de tout ce qui reste à créer.
7. Hier soir, le sol était recouvert d'un blanc étincelant. Comme si la nature avait revêtu elle aussi des paillettes pour fêter le passage à la nouvelle année. L'herbe givrée craquait sous les pas.
8. Les étoiles sont lumineuses. Sont-elles d'un blanc lumineux ? Ici, le ciel est si plein d'étoiles.
9. C'est étonnant comme l'amour peut prendre toute la place parfois.
Puis soudain, l'objet de notre amour passe au second plan. Au moment où j'ai commencé ce journal, j'ai eu une vraie émotion face à un paysage recouvert de givre. Le blanc était partout et il rendait la nature magique. Puis il y a eu plusieurs jours de givre, brouillard et neige et alors le blanc est devenu ma confidente, une douceur froide mais réconfortante. Cette couleur avait un aspect mystérieux et semblait prête à me révéler ses secrets. J'y pensais souvent et surtout, surtout, l'émotion. La joie qui saisit à sa vue.
Mais les jours blancs ont été remplacé par la pluie et j'ai oublié. Oublié mon engagement à écrire ici, oublié d'ouvrir grand mes yeux à la recherche d'une nouvelle note de blanc qui changerait la donne, oublié mon amoure. Peut-être était-il trop récent. Peut-être n'y mettais-je pas assez de cœur.
Et puis, ce matin, le givre de nouveau. Au creux des froides journées de l'hiver mon amoure s'est rappelée à moi.
Et j'en vois d'autres des notes de couleur blanche, mais je n'arrive pas à écrire dessus. Il y a celle des yeux, des panneaux, des portes, de l'hôpital, de la blouse, il y a toutes ces notes de blanc dont je me souviens. Mais c'est le blanc du givre dont je suis amoureuse.
Le blanc qui le matin recouvre tout de sa fine pellicule et qui donne envie de rester encore quelques minutes à l'abri, au chaud, à savourer son café en regardant par la fenêtre.
Est-ce que ça veut dire que je suis aussi amoureuse de l'hiver ? On m'avait dit : tu verras l'hiver est terrible ici. Moi j'y vois la saison de l'ermite, l'hibernation nourricière qui permet de se régénérer. J'aime que les saisons existent encore un peu. Ça me rappelle mon enfance. Je vis pendant quelques semaines dans l'illusion que les saisons existeront encore. Je ne me voile pas la face non, je sais que le givre va mourir. Je sais que mon cœur va se briser. J'essaye de profiter de l'instant tant qu'il m'est possible de le faire.
10. J'admets que la renoncule en tutu posée sur la table est vraiment belle. Peut-être qu'il n'y a pas que le blanc du givre qui me plaît. J'aimerai avoir cette fleur tatouée sur mon corps.
3. Ce que j’ai lu / vu (et aimé et donc que je vous conseille !)
Pour les livres, je vous mets le lien vers le site Place des libraires qui vous permet de savoir dans quelles librairies ils sont dispo et sinon de les commander dans votre librairie préférée.
-Ressac - Diglee - Points récit, 2022
Journal d’une parenthèse qui invite à ouvrir la sienne. J’adore le travail d’illustratrice de Diglee, joie de la lire.
-Clémence en colère - Mirion Malle - La ville brûle, 2024
Un récit sous forme de bd plus que nécessaire. Sororité et consolation au programme, cette lecture m’a donnée tant de baume au coeur.
-Ilaria ou la conquête de la désobéissance - Gabriella Zalapì - Editions Zoe, 2024
Je ne l’ai pas fini mais j’ai beaucoup de mal à arrêter ma lecture quand je m’y mets. Un récit à travers les yeux d’une enfant qui voit dans son enlèvement un road trip aventureux. Recevoir ce point de vue est assez saisissant.
-Désirer à tout prix : : comment le capitalisme a infiltré la sexualité - Tal Madesta - Binge Audio, 2022
Je lis cet essai qui est dans la même collection que Sortir de l’hétérosexualité de Juliet Drouar et encore une fois je suis hyper séduite par la manière d’aborder le sujet et le traitement à la fois intime et sourcé proposé.
Merci d’avoir lu La Lettre Poétique !
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J'aime beaucoup l'idée du paysage âgé par le blanc ! Très belle lettre. Bisous !