Dans cette Lettre Poétique de février, je vous écris au sujet d’un projet poétique cher à mon cœur : ma compagnie de danse contemporaine amateure « des.astres ».
La danse comme poésie du corps est peut-être ce qui m’a permis de me sentir la plus artiste, dans le sens de « quelqu’un qui partage son art ».
Déjà, dans le partage avec les belles âmes de la troupe puis dans le partage avec le public puisque le week-end dernier nous avons jouer notre pièce « Brasiller » pour la première fois au Regard du Cygne à Paris.
Je ne déroge pas tant à l’habitude de cette première lettre du mois dans laquelle je propose habituellement des textes - poèmes ou journaux - car cette pièce créée pour onze danseureuses est traversée de la poésie de chacun.e et aussi de mes mots.
La danse en collectif révèle un passage très rapide de sa poésie intérieure vers le monde extérieur car le corps en mouvement est instantanément visible par le groupe. Dans la poésie écrite, le rapport aux mots et le travail solitaire laissent un temps plus long de dialogue de soi à soi et d’assimilation. Et surtout, cette poésie écrite peut ne jamais être partagée. Ici, avec la danse, avec le groupe avec lequel on danse, il y a l’émotion brute, le tâtonnement, les doutes, qui sont vus, entendus, ressentis par les autres. L’intimité est forte, immédiate et crée des liens profonds.
J’ai des îlots en moi d’où fleurit une résistance vivace.
Cette phrase extraite de mon journal a été la première poésie à servir de matière pour la création, commencée il y a un an et demi.
Elle a été le terreau à partir duquel on a cherché une matière commune, le « ce qui nous anime », le « pourquoi on a envie de danser ensemble ».
Elle a été le terreau dont Susy Chetteau - notre chorégraphe bien-aimée - a pris soin. Elle l’a patiemment arrosé, guidant nos jeunes pousses vers la première pièce de danse contemporaine de la compagnie.
L’expérience du collectif avec cette belle bande d’humain.es m’a appris la puissance du dialogue et de la complémentarité. Au-delà de la création artistique, une compagnie peut jouer une pièce à force de répétitions, de réservations de salle, d’organisation d’un agenda commun, de recherche de subventions, de comptabilité etc. Un vrai travail en coulisses et pour lequel on a pensé une organisation qui soit la plus juste et équitable possible.
Pour ça, une de mes inspirations a été un épisode du podcast FAIRE de
Brasiller
« en parlant de la mer, scintiller par la réflexion de la lumière d’un astre ou par phosphorescence ».
Ce mot, après un moment de recherche autour du titre, c’est Alice, une des danseuses qui l’a proposé. Mot peu employé, il signifie pourtant une image que beaucoup ont en tête et qui est d’une beauté folle. L’été dernier j’ai pris une photo qui « brasille ».
Le brasillement c’est aussi le crépitement des braises, écho au feu commun qui nous anime et qu’on garde précieusement vivant.
Le poème de l’îlot
îlot fluvial à la forêt dense vert sombre parsemé de fluo mes lianes tombent du ciel entrelacs bois et feuilles la lumière ne me perce qu’à l’orée de ma forêt puits de lumière la chaleur coule au centre de moi ici les insectes grouillent les lézards restent au soleil ça bruisse ça farfouille ça creuse la terre apparente les oiseaux qu’on ne devine que par taches colorées sont bruyants au lever du jour sinon ils se cachent à l’abri des grands arbres dont les branches comme les racines s’entremêlent ça se bouture ça se colonise ça se mélange entre chênes, bouleaux, lichens et fougères quand le vent s’en mêle le bruissement des arbres devient un chant qui les rend vivants l’humidité est palpable la forêt semble transpirer ou pleurer selon qu’il fasse chaud ou que la pluie tombe mon sol est doux, moelleux plein de l’eau du fleuve sur lequel il s’est fait par endroit sur mes berges il se fait presque sable noir qui glisse depuis cet endroit on entend le bruit incessant du fleuve qui s’écoule sans accroche mon îlot est une barque sur les flots
Le poème qui est venu après
Ce poème je l’ai écrit lors de ma résidence d’écriture en Juillet à La Perle dans le Morvan. Pour revoir le post où j’en parle c’est par ici.
Puis je l’ai oublié. Jusqu’au week-end dernier où nous avons joué pour la première fois « Brasiller ». Et je l’ai lu lors de la deuxième date, aux autres membres de la compagnie, avant qu’on monte sur scène, comme une prière.
Le voici pour vous, je vous invite à le lire avec recueillement et à laisser les mots résonner.
J’en ai en moi des îlots d’où fleurit la résistance des îlots où nous réfugier toustes des îlots où nous réparer où lécher nos plaies et nous reposer des îlots où nourrir le feu jusqu’à incendier le béton des îlots où accorder nos danses pour faire trembler le monde Je veux voir à perte de vue jeter au vent les graines vivaces pour que ça bout fourmille tire tende grésille crépite tambourine pétille chauffe se condense bondit brasille aille à la rencontre de pépie tourne virevolte saute chante gronde frissonne et que le ciel se déchire pour pleurer sur nous toustes ses tristesses que ses larmes nous lave et nous ensemence dans le même temps alors que l’horizon rougit d’être léché par le soleil chaque soir nous reste-t-il un autre choix que celui de vouloir rougir nous aussi alors que le vent fait parler les arbres et qu’il nous reste à apprendre le langage du bruissement nous reste-t-il un autre choix que celui de semer l’amour ?
Merci d’avoir lu La Lettre Poétique !
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